Fabrice Preyat, Maaheen Ahmed et Erwin Dejasse se sont joint à une équipe pluridisciplinaire pour un projet de recontextualisation des fresques du parcours BD de Bruxelles qui, depuis plusieurs années, ont fait l’objet de critiques. Certains fresques ont en effet été épinglées pour les stéréotypes sexistes ou racistes qu’elles véhiculent. La Ville de Bruxelles a décidé d’entamer un travail de fond sur la présentation des œuvres afin de recontextualiser ces représentations. Le Brussels Studies Institute, ACME et le Centre belge de la bande dessinée s’associent pour cette mission et ont présenté leur approche afin de recontextualiser les fresques du Parcours BD de manière à la fois critique et pédagogique.
La présence dans l’espace public de symboles renvoyant à la colonisation ou à des représentations stéréotypées sexistes est aujourd’hui au centre de très vifs débats. Les mouvements #metoo et Black Lives Matter, les organisations et associations de la société civile ainsi que de très nombreuses initiatives portées par des individus engagés ont participé à une large prise de conscience de l’impact et des enjeux des discours (in)directs présents dans l’espace public. En Belgique et à l’étranger, les débats qui s’ouvrent montrent combien cette problématique est sensible et peut rapidement mener à de vives protestations, à des actes de vandalisme, voire à la destruction pure et simple d’œuvres. Les autorités locales, lorsqu’elles ont ignoré ce large débat public, ont parfois donné l’impression de ne pas respecter la diversité d’une population, dont une partie n’accepte plus certains choix réalisés par le passé. Tout indique que les critiques sur les stéréotypes considérés comme sexistes ou racistes, entre autres, dans l’espace public sont destinées à se poursuivre et à s’amplifier.
Les stéréotypes dans la bande dessinée
En tant que discours social largement diffusé et porteur de tout un imaginaire, la bande dessinée n’échappe pas à ces critiques, a fortiori au cœur d’un parcours de l’espace urbain qui, de la case à la fresque, exp(l)ose hors mesure ses compositions.
La recontextualisation de symboles contestés
Le BSI, ACME et le CBBD proposent de construire, en concertation avec les acteurs urbains concernés, un discours cohérent, historique et argumenté pour permettre une coexistence légitime et harmonieuse entre des œuvres issues de milieux et d’époques différentes, sans tomber dans une forme de binarisation (femme vs. homme, auteur vs. autrice, représentation ponctuelle de la culture homosexuelle contre une présence hégémonique du pendant hétérosexuel, etc.) ou de tokénisme.
L’ensemble des fresque fera ainsi l’objet d’une analyse transversale, dans un premier temps par rapport aux stéréotypes racistes ou sexistes qu’elles peuvent présenter mais aussi par rapport à la présence plus large d’autres stéréotypes, lors d’ateliers de discussions avec des académiques de différentes disciplines (historiens, sociologues, historiens de l’art, de la littérature, de la culture), des spécialistes de la bande dessinée et de l’évolution de l’espace urbain, des auteurs, mais aussi des acteurs de la ville (associations citoyennes, militantes, habitants des quartiers, etc.). Ces ateliers inscriront l’ensemble du projet dans une démarche citoyenne et pédagogique, selon une démarche conforme à l’idée d’une démocratie participative.
Dans un second temps, une notice sera rédigée pour chacune des fresques, conformément à la mission actuellement commanditée par la Ville de Bruxelles et dans un dialogue constant avec les étudiants des différentes entités associées de manières à garantir une approche plurielle et afin d’éviter le biais des générations. Ces notices seront ainsi rédigées de façon cohérente en reposant sur de solides bases méthodologiques. Elles permettront non seulement aux futurs spectateurs, aux visiteurs, aux citoyens de se forger une opinion critique à partir des œuvres mises en scène dans la ville mais aussi de les sensibiliser à la diversité du média de la bande dessinée, à ses évolutions, depuis l’édition mainstreamjusqu’aux niches de l’édition alternative, et aux différents discours sociaux qu’elle contribue elle aussi à déconstruire dans une optique de dégenrisation, de décolonisation, etc. Elles permettront de mettre en évidence le riche vivier de créateur.rice.s belges et bruxellois.
L’expertise du Brussels Studies Institute
L’auteur de Blondin et Cirage, Jijé, était rival de Hergé. En opposition avec Tintin, Jijé décide de créer en 1939 une histoire qui prend le contre-pied de Tintin en présentant deux personnages principaux : l’un blanc et blond, l’autre noir. Dans ce duo, celui qui trouve toutes les solutions est le personnage noir, à contre-courant des représentations de l’époque. Mais pour répondre à un stéréotype, faut-il nécessairement construire un contre-stéréotype qui utilise les mêmes codes ?
Face à la multiplication de critiques sur des symboles contestés dans l’espace public (statue, monument, plaque de rue…), le Brussels Studies Institute a développé une expertise sur la recontextualisation de symboles contestés dans l’espace public. Il existe différentes manières de réagir, allant de l’inaction à la destruction de l’objet contesté. Les militants à Bruxelles optent en général pour des actions visant à supprimer ces symboles contestés ou à les détourner en y apposant un tag ou de la peinture rouge par exemple. Consciente que supprimer une œuvre qui fait débat risque purement de supprimer le débat lui-même, la Ville de Bruxelles privilégie l’ajout de textes de recontextualisation et l’ajout de nouvelles fresques issues d’artistes féminines dans le Parcours BD.
Un projet ambitieux
S’il faut bien entendu se réjouir de cette démarche, il convient cependant aussi d’être conscients qu’elle ne permet pas d’aboutir à une recontextualisation cohérente et argumentée de ces représentations contestées. Après l’ajout de notes rédigées pour chacune des fresques, il sera nécessaire de penser à construire une interaction critique avec les Bruxellois.es sur ces thématiques. Le BSI, ACME et le CBBD chercheront donc à poursuivre ce projet ambitieux, en veillant à rester en permanence en dialogue avec les habitants et les associations locales. Ils proposeront également, à titre indicatif, au terme du marché public, plusieurs perspectives à déployer à l’avenir et qui seraient de nature à assurer l’attractivité et la diversité du Parcours ainsi que de la communication qui l’accompagnera désormais (développement d’outils pédagogiques, utilisation de différents médias, etc.).
Voir aussi le site du Brussels Studies Institute