Résumés et abstracts des communications

Ces résumés seront disponibles dans un dépliant distribué lors du colloque des 16-18 novembre.

Mercredi 16 novembre 2011

(Salle Académique)

9h15 : Accueil

Séance 1 – Préambule

9h30 : Erwin Dejasse (Université de Liège), Figures et lieux de l’alternative : un état des lieux.

Les « instances de légitimation » (presse, festivals, récompenses, recherches universitaires…) ont souvent mis en avant la réussite d’éditeurs comme Fantagraphics ou L’Association. Toutefois, la mouvance alternative est loin de se limiter à une poignée de maisons d’éditions, de créateurs ou de territoires qui ont captés sur eux l’essentiel de l’attention médiatique. Comme peut-être jamais dans son histoire, la bande dessinée s’est épanouie dans des multiples foyers de création. Au-delà des territoires porteurs d’une longue et riche tradition, ont émergés des éditeurs, revues et collectifs à l’influence parfois souterraine mais néanmoins déterminante : Bitterkomix (Afrique du Sud), Galago (Suède), Actus Tragicus (Israël), Stripburger (Slovénie)…

« [...] si les standards [des] différents pays sont difficilement exportables [...] leurs différentes alternatives, elles, procèdent d’une culture réellement internationale » notait, en 2000, Jean-Christophe Menu. L’exposé tentera de dessiner les contours essentiels d’un phénomène multipolaire, d’un réseau complexe de ramifications et d’échanges. Il s’agira aussi de dégager des lignes de forces qui caractérisent cette « culture internationale » et ainsi cerner quelques-uns des enjeux essentiels du présent colloque.

10h10 : Tanguy Habrand (Université de Liège), Édition établie, édition indépendante, édition sauvage : une approche institutionnelle.

10h50-11h10 Pause

Séance 2 – Rompre par le genre

11h10 : Pascal Lefèvre (Sint-Lukas Brussel & K.U.Leuven), Documentary comics, a typical genre of independent comics publishing?

As animated documentary, the documentary comics, journalistic comics and comic (auto)biographies seem to have expanded the documentary’s epistemological realm the past twenty, thirty years. While traditionaldocumentary is built on the seemingly objective of photographic image, drawn (or animated) documentaries confront the viewer with a personal, handmade interpretation of the world. But to what extent is the hybrid phenomenon of documentary comics related to the so-called independent publishing market, as often claimed by various critics?

11h50 : Catherine Mao (EHESS), La fortune d’un lexique : la bande dessinée autobiographique.

La bande dessinée autobiographique a fait l’objet, depuis les années 90, d’un engouement critique et théorique sans équivalent. Adopté d’emblée, le dénominatif n’a été que rarement interrogé. Les enjeux de cette fortune terminologique semblent tout à fait symptomatiques d’un discours tenu sur la bande dessinée.

Objet d’amour et de désamour privilégié de la critique, la bande dessinée autobiographique suscite la glose et alimente le débat. Les auteurs d’œuvres autobiographiques, en pratiquant l’introspection et la rétrospection, font souvent preuve d’une conscience aiguë de leur art, et versent naturellement dans la théorisation de leur propre pratique. Par conséquent, ces œuvres suscitent facilement le commentaire. Autrement dit, la bande dessinée autobiographique favorise le glissement vers le sémantisme qui fait le miel de toute théorie, et s’en trouve ainsi hautement valorisée.

Célébrer l’exception de la  bande dessinée autobiographique, c’est reconduire une hiérarchie. Il n’y a pas de bande dessinée « dans sa nudité de simple chose », pour reprendre les termes de Jean-Marie Schaeffer, et les catégorisations, qui sont constituantes de l’identité de la bande dessinée, guident l’expérience du lecteur. Force est de constater que la classification en bande dessinée autobiographique équivaut à un gage de qualité, qui explique en grande partie la fortune critique de ce dénominatif.

Par un effet de contamination, l’écriture de soi, hautement valorisée, auréole la bande dessinée de sérieux, lavant la bande dessinée de ses péchés d’infantilisme et de divertissement : la bande dessinée, art mineur, est revalorisée par l’autobiographie, genre majeur. L’autobiographie serait donc ce qui sauve la bande dessinée d’elle-même, ce qui constitue une posture méthodologiquement contre-productive, dans la mesure où elle cherche, imperceptiblement, à tordre le cou à son objet.

La fortune de ce lexique est tout à fait symptomatique d’une histoire de l’art écrite du point de vue de l’art « majeur », par un regard condescendant, c’est-à-dire de haut en bas. Les auteurs, notamment ceux des années 90, ont vu dans l’écriture de soi un terrain d’expérimentation, leur permettant de désenclaver leur discipline. Il faudrait dès lors concevoir la bande dessinée autobiographique non plus en terme de rupture, mais de révélateur, au sens photographique du terme.

12h30-14h00 Pause

Séance 3 – Autoédition et Mythe des origines

14h00 : Sylvain Lesage (Université de Versailles–Saint-Quentin), Aux sources de l’indépendance ? L’auto-édition dans l’espace franco-belge, années 1970-1980.

À l’heure où les technologies numériques reposent la question de l’auto-édition comme tremplin dans un marché engorgé, il nous paraît utile de revenir sur les expériences tentées dans les années 1970-1980 en France et en Belgique.

Dans un contexte d’explosion du marché de l’album de bande dessinée, de nombreux auteurs font alors le choix de l’auto-édition. De Claire Bretécher à Jean Graton, d’Albert Uderzo à Jean Tabary en passant par Régis Franc ou Lucques, voire Aedena, ces auteurs présentent des profils a priori fort dissemblables.

L’auto-édition brouille les frontières que l’on voudrait trop commodément fixer entre une édition indépendante innovante et une édition industrielle vouée à la production en séries. Zone de tensions entre ces deux pôles, l’auto-édition constitue également un moment où s’élabore une autre façon de pratiquer l’activité éditoriale.

L’objectif de cette communication sera d’interroger ces auteurs auto-édités en tant que groupe. Au-delà des divergences de genre, qu’est-ce qui les réunit dans une même démarche éditoriale ? Peut-on parler d’un groupe, aux intérêts ou aux discours communs ?

Trois points seront abordés plus précisément. D’une part, les motivations qui poussent les auteurs à rompre avec l’édition classique ; le cas bien connu du conflit avec Dargaud, qui pousse Albert Uderzo à créer sa propre structure après la mort de René Goscinny, représente-t-il la règle, ou l’exception ? Il semble que la dynamique portant de nombreux auteurs à s’auto-éditer soit largement générée par les contradictions d’une édition en pleine crise de croissance et confrontée à des défis croissants, notamment en termes de diffusion.

Nous nous pencherons ensuite sur le mode de fonctionnement de ces auto-éditeurs ; le terme est lui-même trompeur, puisque nombreux sont ces auto-éditeurs à fonctionner sous le régime des sociétés anonymes (ou des SARL) et à employer plusieurs salariés, bien souvent membres de la famille de l’auteur. L’auto-édition n’a donc rien d’une démarche individuelle : l’objectif est plutôt de retrouver un collectif sur une échelle plus artisanale.

Enfin, nous nous interrogerons sur le devenir de ces initiatives : quelle fut leur pérennité ? De quelle manière, et pourquoi, la plupart des auteurs concernés sont-ils revenus à l’édition classique ? Doit-on comprendre ce relatif affaiblissement du secteur comme un échec de l’auto-édition, ou comme un signe des mutations de l’édition « classique » ? Nous nous pencherons également sur les difficultés du réseau de diffusion, et notamment sur la faillite de B.Diffusion, qui fragilise la démarche de l’auto-édition.

14h40 : Christian Gast (Université de Cologne), Establishing Comix : Meet R. Crumb, the Magnate !

The establishment of the underground movement in the United States is one of the most important precursors for the today’s independent comic scene. The first artists of the Underground comix movement did not only break free from the dominant popular or mainstream comics in terms of content and form, but also established their very own publishing structure. Famous among fans as well as scholars is the vivid scene of Robert Crumb, selling his firts issue of Zap-Magazine from a old baby buggy at a corner in the hippie-stricken Haight-Ashbury district of San Francisco in the late Sixties. Robert Crumb knew the inside of one particular part of the mass culture industry from diverse jobs as color-separator and later creator of greating cards. From the beginning of his what back then not so much seemed to be a « career » he wanted to maintain creative control over his work, no cmpromising for any particular publisher. Despite now being a darling of the art scene (with numerous gallery exhibitions and even an expensive coffee table book from Taschen), having a great fan following from the beginning  of his career as well having come to even broader fame with Terry Zwigoff’s documentary « Crumb », there are important aspects of Crumb’s life and comic work that have not yet gained scholarly attention : My hypothesis is that his work can be read as a profound critique of modernity and mass culture, not withstanding the inherent contradiction that much of his aesthetics as well as his very medium of choice (the comic book that is) are products of modernity ans mass culture themselves. From a thick examination of his comics as well as his life and interviews deep insights can be gained regarding the possibilities and limitations of independent comic artists and publishers in late capitalism.

15h20 : Harry Morgan, Comment patrimonialiser des classiques de l’underground quand on fait une maison d’édition sur un coin de table ?

La présente communication rend compte d’une expérience de micro-édition visant à donner au public francophone des éditions de deux classiques de l’underground. L’éditeur français Stara Comix (Mulhouse) publia en 2008  le corpus des Aventures de Jésus (1962-2006) par Foolbert Sturgeon (Frank Stack), considéré par le fandom comme le point de départ de la bande dessinée underground, et, en 2011, le comic book pionnier de la bande dessinée confessionnelle, Binky Brown Meets the Holy Virgin Mary de Justin Green(Last Gasp, 1972). Comme dans toute réédition de classique, la finalité de ce projet était de patrimonialiser les œuvres, en les rendant disponibles pour les nouvelles générations, et, en l’espèce, pour des lecteurs ne lisant pas l’anglais.

Cependant L’analyse de ces projets éditoriaux amène à mettre en parallèle la précarité des éditions originales (le premier Jésus de Foolbert Sturgeon, considéré comme le premier comic underground de l’histoire, a commencé à paraître sous forme de photocopies) avec le caractère non moins précaire des éditions françaises (tirages restreints, diffusion limitée).

Non moins intéressants sont les problèmes techniques. Outre que l’examen des éditions françaises révèle maintes erreurs de réalisation typiques d’un petit éditeur qui découvre son métier, il apparaît que l’édition d’un classique est toujours à quelque degré une restauration. (Le cas de Binky Brown est exemplaire à cet égard.)

Enfin, les finalités mêmes de ces éditions apparaissent complexes. L’éditeur français publia aussi des œuvres non patrimoniales (Jésus la terreur des zombies, Battle Pape), la cohérence éditoriale reposant donc en l’occurrence sur la référence chrétienne et non sur la référence au courant esthétique de l’underground, ce qui rendait ambigu le traitement irrévérencieux de la religion dans l’ensemble des œuvres publiées.

Pour finir, on fera valoir que les ouvrages parus aux éditions Stara sont épuisés ou en voie d’épuisement. On revient donc au point de départ, via une forme paradoxale d’échec dans le succès, puisque, de facto, les œuvres auxquelles on a voulu donner une postérité redeviennent indisponibles.

15h40-16h00 Pause

Séance 4 – Rencontre avec un auteur-editeur

16h00 : Thierry Van Hasselt (Co-fondateur des éditions Fréon devenues Frémok – Bruxelles)

En soirée : Repas facultatif au restaurant.

Jeudi 17 novembre 2011

(Salle Des Professeurs)

9h15 : Accueil

Séance 1 – Un mouvement planétaire

9h30 : Aleksandra Sekulic (University of Arts, Belgrade), Fanzine culture in Serbia – continuous flux of alternative : from Punk to Facebook.

The growing phenomenon of alternative/independent comics scene has been perceived in Serbia as a product of 1990s alternative culture, but it was the originality of Yugoslav cultural history that has enabled continuities that stem from the concept of the culture of the enthusiasm. The Socialist Yugoslavia has been making efforts to democratize its culture by supporting amateurism, culture produced from enthusiasm, providing the institutional framework for artistic creativity in leisure time. The amateurism, as a field open for experiment, was realized as a concept precisely in the alternative culture of the 1980s, which stood up against the given cultural system of a country that was taking itself less and less seriously. These strategies of production and distribution of alternative comics have developed in osmosis and symbiosis with the kindred scenes of the 1990s.

With the breakup of Yugoslavia, the wars, the economic and cultural sanctions, the alternative culture has defined itself towards the dominant nationalistic and autistic cultural and media system, and has developed parallel structures of production and dissemination. The “invisible” comics scene has developed cohesive performative aspects of its activities, and the fanzine media enabled furious development of an entire generation and interaction with the international scene. The actualization of the term of vernacular production in contemporary conditions of digital capillarization of cultural production has namely enabled the consideration of the specific tradition of alternative comics production, the development of which, inspired precisely by the practice of self-generated editorial activity, individual expression and group work, illustrates continuation of the culture of enthusiasm – from proclaimed state cultural policy to support amateurism to alternative culture practice in which enthusiasm represents a powerful engine of development of the independent scene facing the dominance of creative industries.

10h10 : Pierre-Nicolas Van Aertryck (Université Saint-Joseph, Beyrouth), La bande dessinée libanaise : miroir grossissant / déformant de la production occidentale.

Le Liban tisse de nombreux liens avec la production éditoriale mondiale. Ce Pays trilingue importe donc des livres venus de pays anglophones et francophones qui côtoient la production arabe régionale. Il apparaît comme un microcosme dans lequel la bande dessinée occupe une place, faible, mais qui peut servir de miroir grossissant de ce qui se fait globalement. En plus des imports, la bande dessinée nationale tente de se créer une spécificité. Une mise en parallèle de ces deux cas fait apparaître deux systèmes de productions, de diffusions et même de créations.

Deux exemples permettent d’éclairer le jeux de va et vient de la production locale. La revue Samandal se veut le miroir de la bande dessinée libanaise. Pourtant, l’offre est trop faible pour que les auteurs nationaux suffisent à remplir les pages, les contributeurs sont donc de toutes les nationalités. Le trilinguisme de la revue qui se veut le moteur de l’ambition de mise a jour de la bd locale s’avère en fait être un frein à l’export. Seul le numéro 5 s’est fait distribuer en Europe grâce à une co-édition avec la maison belge L’Employé du moi. À l’inverse, les auteurs libanais souhaitant toucher leur public ont plus intérêt à se faire publier en France. C’est le choix qu’ont fait Mazen Kerbaj et Zeina Abirached, respectivement publiés chez L’Association et Cambourakis. Il est ainsi plus facile de trouver des livres importés, surtout de France, que d’optimiser le système de diffusion et distribution locale.

Il n’existe donc pas de bande dessinée libanaise à proprement parler, mais de cet échec de proposition (graphique, narrative, éditoriale) émerge une proposition alternative. Celle-ci est encore en phase de mûrissement. En effet une des rares propositions qui joue des codes libanais vient de l’Université Libanaise des Beaux Arts (ALBA) qui éditent une fois l’an les projets des étudiants.

La bande dessinée Libanaise pour affirmer son devenir doit s’émanciper des influences occidentales qui viennent paradoxalement la caractériser.

Cette présentation aura pour but de montrer que malgré une majorité d’importations de bandes dessinées mainstream, les producteurs locaux tendent vers une production de type indépendante. On se demandera comment celle-ci se caractérise et nous verrons qu’elle peut apparaître comme une caricature de la production européenne.

10h50-11h10 Pause

Séance 2 – La Flandre et les Pays-Bas

11h10 : Gert Meesters (Université de Liège), The reincarnation of independent comics publishing in Flanders.

In this paper, I will discuss the evolution of independent comics publishing in Flanders in recent decades. First, I will show that most comics publishers in Flanders have always been different from those in other parts of the globe, as they started publishing comics as a spin-off of the newspapers the comics were syndicated in. The newspapers lost their interest in publishing comics afterwards, the result being that the combination of the production of dailies and comic albums in one firm does not exist anymore in the current Flemish comics field. Independent comics publishing in the beginning consisted of little more than imitating the business model of the established publishing houses. But it has gone through some important changes and has benefited from government funding and support in recent years. I will show how these publishers evolved from magazine-oriented small press to bibliophile, more professional albeit minuscule enterprises, driven by idiosyncratic idealism instead of profit maximization, and recently also to creator-owned publishing structures. Examples such as Bries and Oogachtend will be dealt with extensively as their existence proved to be instrumental in the recent international breakthrough of some Flemish authors, such as Olivier Schrauwen and Brecht Evens.

11h50 : Rudi de Vries (University of Groningen), Pragmatic dependence or splendid isolation? The ambiguous position of independent comics publishers in the Netherlands.

The introduction of the graphic novel, both as a new format for comic albums and as a label used for marketing purposes, lead to changes within the field of Dutch comics publishers, some of whom were actively involved in introducing the graphic novel and other innovative forms of comic albums in the Netherlands. Small, independent publishers of comic albums suddenly saw new competitors in the comics niche: literary publishers entered the comics niche and tried to conquer space on the book shelves, by translating foreign graphic novels, but also by giving Dutch artists the opportunity to publish. Specialized comic album publishers are in fact a quite recent phenomenon: until the early 1980s the Dutch comics industry was dominated by a few large magazine publishers, who always considered comic albums as a derivative product. In some ways the Dutch situation of comics until the introduction of graphic novel may be comparable to that of other countries: most comic albums were only sold in a gradually decreasing number of specialized comics shops, and hardly known to a larger audience. The situation in the Netherlands is different from that in Belgium and France, and comparable to that of Germany, in that most comic albums are imported and translated, mostly from Belgium, France, the USA and the UK. In fact, only an average 15% of all albums that are published annually have a Dutch origin. For small comics publishers, the investments in a translation are less high than in the case of an originally Dutch comic: the risks have already been taken by a foreign publisher, and the Dutch publisher can choose from a large number of albums and series that have already proven to be successful abroad. However: this also causes a dependence on foreign producers. New chances for Dutch comic artists and their publishers are being given by the government, who recently has acknowledged comics as a form of art, and even has introduced an annual award for the oeuvre of a comics artist: the Marten Toonder award.

It is in the middle of these dynamics that independent comics publishers try to survive. They adapt themselves or try to change their environment. In my paper I shall pay attention to the evolution of the comics industries in the Dutch language area, and to the institutional backgrounds of these developments. An outline of the strategies of Dutch (former) independent publishers Oog & Blik, Sherpa, Xtra, Panda, Arboris and Silvester will provide more insight into the difficult choices that these publishers are facing, and will also make clear how these choices lead to a small, but also very diverse and dynamic industry.

12h30-14h00 Pause

Séance 3 – Le bassin anglo-saxon

14h00 : Aurélien Pigeat (Université de Paris III & VII), « Graphic Novel » contre « Comics mainstream » : deux itinéraires comme révélateurs de l’opposition.

L’émergence des graphic novels aux États-Unis s’est définie comme une alternative aux modèles esthétiques, narratifs et économiques des grands éditeurs mainstream, rejetant leurs formats et leurs modes de diffusion. Pourtant, ces deux univers ne font pas que s’opposer : de nombreuses passerelles les relient et des échanges se produisent. Deux auteurs britanniques illustrent les relations complexes qu’entretiennent milieux indépendants et grandes maisons d’édition : les œuvres d’Alan Moore et de Grant Morrison relèvent tout autant des grandes franchises que des milieux underground, cultivant originalité et indépendance, recherchant les limites des formes narratives, des codes des genres et des sujets abordés.

La production de ces auteurs diffère-t-elle donc radicalement selon le mode éditorial choisi ? Où se situe alors ce qui fait l’identité artistique de leurs œuvres ? La pratique de ces auteurs pourrait nous permettre d’observer que les spécificités a priori reconnues à ces modes, notamment la liberté de ton et de sujet pour l’underground, déteignent d’un mode à l’autre, rendant de plus en plus tenue, ou parfois de façade, la stricte opposition entre les deux types de production. Ces deux auteurs constituent de véritables révélateurs des enjeux sous-jacents complexes de cette opposition en apparence si évidente. Alan Moore et Grant Morrison importent des pratiques et des sujets nouveaux à l’intérieur même du cadre du mainstream, et gèrent au fur et à mesure de leur carrière leur capacité à imposer leurs vues et leurs intérêts.

Nous aimerions, à travers les parcours et œuvres de ces deux auteurs, étudier comment il est possible de passer de l’underground au mainstream et ce que la pratique indépendante peut construire comme ressource pour la production mainstream : ressource indirecte en tant que champ d’expérimentation ou de signalement esthétique, ressource directe en tant que relecture ou transformation en profondeur de grandes licences telles que Batman ou Superman.

14h40 : Charles Hatfield (California State University, Northridge), Do Independent Comics Still Exist in North America ?

In the past decade, independent comics in the United States and Canada have undergone profound changes due to many factors, including shifts in publishing and distribution, increasing attention to comics in the critical mainstream, the ascendancy of Net culture and the resultant growth of webcomics and online fandom, the decline of the independent periodical comic book, and, not least, the shifting balance between the direct market (i.e. comic book specialty stores) and other, more mainstream markets, including traditional bookstores and online retailing. The effect of all these has been twofold, as alternative comics, first, leave behind independent publishing structures and court mainstream publication and acceptance, a bid for status that threatens co-optation and the loss of the genre’s oppositional power; and yet, secondly, enjoy an aesthetic renascence that is at least partly owed to this very mainstream attention.

The result is baffling: a generative if muddled period that seems to belie the classic avant-garde equation of dissident publishing with aesthetic innovation. Granted, there appears to be an emergent avant-garde in U.S. and Canadian comics, one that resists the bourgeois literary standard implied by the graphic novel and favors a painterly aesthetic; however, there are also opportunities for innovation within comics that presuppose a literary readership (consider, e.g., the politically engaged journalism of Joe Sacco, which sits alongside other books of journalism and far from avant-gardism). The signal texts of «alternative» comics since 2000 have a special poignancy precisely because they are so very mainstream in fact —Sacco, Spiegelman, Bechdel, Satrapi, Ware, Clowes—and yet carry with them the memory of a once-oppositional «underground» art that didn’t curry literary favor at all. At the same time, the new avant-garde insists on comics’ power as comics and argues against the very terms of the graphic novel’s success.

This presentation will seek to make sense of this muddle by extending and updating the analysis given in my monograph Alternative Comics (2005). In the end, I hope to disentangle aesthetic from economic questions—or rather, to show how their inevitable entanglement must be understood differently, in this time of blurred identities and shifting arrangements.

15h20 : Paul Gravett, States of Independence : The Shifting Landscape of British Independent Comics.

The blurry term ‘independent’ covers a spectrum of business models, financing solutions and creative visions. How have they shaped the variant forms, formats and formulae of so-called ‘independent’ comics in Great Britain? What if anything constitutes an ‘independent’ comic, and when does one become no longer truly independent? This paper charts Britain’s ever-shifting publishing landscape, from photocopied zines to hardback graphic novels, by drawing on interviews and insights from participants and my personal participation. It will examine contrasting examples, from ArZak, Brainstorm, Near Myths and Viz in the 1970′s underground scene, through the Fast Fiction self-publishing explosion, pssst!, Escape, Warrior and Deadline, to Sturgeon White Moss, Nobrow, Blank Slate, Solipsistic Pop and Self-Made Hero and other 21st century innovators. As media have become more transnational, what aesthetic and commercial choices are being made and how much do these comics need to be specifically rooted in « Britishness »?

15h40-16h00 Pause

Séance 4 – Rencontre avec un auteur-editeur

16h00 : Jean-Christophe Menu (co-fondateur de L’Association et fondateur de L’Apocalypse – Paris)

En soirée : Projection de Poulet aux prunes de Marjane Satrapi au centre culturel Les Grignoux. Présentation du film par Dick Tomasovic et Björn-Olav Dozo (Université de Liège).

Vendredi 18 novembre 2011

(Salle Des Professeurs)

9h15 : Accueil

Séance 1 – Médiations de l’indépendance

9h30 : Benoît Berthou (Université de Paris XIII), Pour une autre commercialisation de la bande dessinée : Étude sur La Gazette du Comptoir des indépendants.

« L’indépendance ne se négocie pas ! » : ainsi pourrions nous formuler la position que nous entendons discuter dans le cadre de cette communication en nous appuyant notamment sur le cas du Comptoir des indépendants. Fondé en 1999 « par un groupe d’éditeurs de bande dessinées »[1], celui-ci relève en effet d’une ambition on ne peut plus problématique : faire d’un outil de commercialisation l’instrument d’une « forme de résistance face à la concentration actuelle du marché du livre »[2]. Des fonctions de diffusion et de distribution dont François Rouet[3] a bien montré l’exigence capitalistique deviennent ainsi pleinement signifiantes puisqu’elles permettent à la fois de « tisser des liens » (entre éditeurs de bande dessinée, de livre d’art et de jeunesse « mettant la création et le développement de cette création au centre de leur travail »[4]) et de « tirer un trait » sur une certaine idée du neuvième art (comme l’écrit Jean-Christophe Menu : « Que la bande dessinée de création, réévaluée dans une nouvelle perspective du Livre d’Images en général, fasse sécession définitive avec le microcosme spécialisé BD, est ce qui pourrait lui arriver de mieux »[5]).

Nous sommes donc face à un véritable projet que nous proposons de présenter dans le cadre d’une communication en étudiant notamment une publication, La Gazette du comptoir des indépendants, qui présente régulièrement l’ensemble des parutions des adhérents. Celle-ci est en effet signifiante puisqu’elle se situe aux antipodes des fascicules produits par d’autres diffuseurs : la Gazette n’est pas pensée sur le mode d’une liste (assortie de code-barres et autres « codes distributeur ») mais entend tout-à-la fois constituer un lieu d’exposition de la production éditoriale et un outil de commercialisation. Un index et des mots-clés organisent la présentation d’un ensemble de livres auxquels une page entière est systématiquement consacrée : s’il s’agit d’« afficher l’indépendance de [ses] éditeurs, telle une bannière »[6], c’est ainsi en faisant une large place à la singularité des ouvrages et en mettant en valeur la cohérence d’un catalogue « rendant compte de la transversalité existante dans la création contemporaine »[7]. Toute la question est ainsi de savoir comment, tant du point de vue de son rédactionnel que de sa conception graphique, cette publication entend lier les destinées commerciales de bandes dessinées avec celles de « livres d’images » et se constituer elle-même comme l’instrument d’un lien avec l’ensemble de la chaîne du livre en ne se destinant pas aux seuls professionnels mais en étant distribué auprès du grand public.

10h10 : Camille Escoubet, La bande dessinée indépendante exposée : Nouvelles tendances de la mise en exposition de la bande dessinée.

L’exposition de la bande dessinée appelle d’emblée à un paradoxe inhérent à la seule nature du Neuvième Art : celui de tenter de concilier la notion de reproductibilité, constitutive du média, et la mise en valeur de ce qui pourrait passer pour la matrice originale de la bande dessinée, que sont les planches originales.

Même si le goût pour l’exposition de la bande dessinée est dans une certaine mesure assez ancien, les véritables premiers exemples assumés et réfléchis de cette pratique au cours des années 1960 à 1980 suivent un double mouvement : d’une part, celui de l’apparition puis de la systématisation des expositions temporaires en général ; mais également celui qui est tributaire de l’évolution propre à la bande dessinée, c’est-à-dire la volonté accrue de la part de ses acteurs de légitimer le média autant que l’apparition de nouvelles tendances stylistiques au sein de sa production – l’émergence de la bande dessinée dite « adulte », l’underground américain, jusqu’à l’apparition de la bande dessinée « indépendante », ou d’auteur.

L’actuel mouvement d’amplification à l’échelle mondiale des expositions de bande dessinée de ces dernières années, dans ses différentes formes (expositions classiques, expositions « hybrides » ou « expositions spectacle »), est-il plus dépendant à l’un ou à l’autre de ces deux facteurs ? Il s’agit ici de tenter de voir si l’éclosion de la bande dessinée « indépendante » ou « alternative », qui se veut d’avantage porteuse de productions plus « artistiques », joue ou non un rôle prépondérant dans la mise en exposition de la bande dessinée d’aujourd’hui. Il sera nécessaire pour ce faire de confronter les différentes caractéristiques propres à cette bande dessinée « indépendante » – notamment la valeur plastique des originaux chez certains auteurs – aux modalités de son exposition, et voir si les expositions de bande dessinée sont bien bel et bien liées à un retour de « l’aura », celui de la planche originale.

10h50-11h10 Pause

Séance 2 – Pérennité de l’alternative

11h10 : Sébastien Conard (Saint-Luc Gand & K.U.Leuven), Historical avant-garde and comics.

In his brilliant article on what is truly subversive in Alberto Breccia’s Buscavidas, Aarnoud Rommens reminds us thatThierry Groensteen (2004) argues convincingly that comics never really had an ‘avant-garde,’ because comics ‘lack (…) an authority susceptible to re­jecting or stigmatizing heretics (…). Furthermore, one should ask oneself the question whether (…) the possibility to subvert exists in the same manner within noble culture and popular culture.’ Accordingly, the history of comics is not marked by the succession of avant-gardes, but rather by a list of curiosities.” Though Rommens showed that a series as Buscavidas can certainly be called subversive in its historical context, and not just a curiosity, questioning the notion of avant-garde in comics seems legitimate and fruitful to me. I propose to confront a number of scholarly reflections on the term as used in the context of comics (like the dialogue above) with theoretical insights concerning the historical avant-gardes of the early 20th century. Not to argue if we are ‘allowed’ to call certain comics vanguard but to see how historical avant-garde modes of production and distribution and their entanglement with the political can productively inform comics practice at the start of the 21st century.

11h50 : Thierry Groensteen, De l’An 2 à Actes Sud, une alternative à l’alternative.

En 2002, la création des éditions de l’An 2 faisait le pari d’unestructure d’édition professionnelle conciliant intransigeance éditoriale etobjectifs de rentabilité. L’échec de cette entreprise sur le plan financiersemble attester de ce que la bande dessinée d’auteur est vouée à demeurerconfinée dans une économie marginale (bénévolat, collectifs d’auteurs,structures associatives, etc.).Depuis 2007, la poursuite de cette aventure éditoriale sous la forme d’unecollection au sein du groupe Actes Sud illustre un autre modèle, celui del’élargissement à la bande dessinée d’un modèle d’édition littéraire. Parrapport à l’industrie de la « BD » et à l’édition indépendante, celui-cipourrait bien représenter un troisième pôle dans le paysage éditorial duneuvième art.

12h30-14h00 Pause

Séance 3 – Réinventer l’indépendance

14h00 : Jean-Matthieu Méon (Université Paul Verlaine-Metz), Le champ de la bande dessinée alternative nord-américaine et ses redéfinitions contemporaines : Pratiques éditoriales et discours critiques de l’éditeur PictureBox.

L’indépendance en bande dessinée renvoie à l’activité de structures éditoriales qui, par leur production, proposent une alternative à l’offre dominante du marché de la bande dessinée. Mais l’indépendance correspond aussi à la production d’un discours alternatif sur la forme d’expression artistique investie et son histoire. A partir d’exemples empruntés au champ de la bande dessinée nord-américaine, cette communication souhaite étudier l’articulation de ces dimensions éditoriale et critique au sein d’une même pratique de la bande dessinée indépendante et alternative. Des parallèles seront établis avec des démarches proches, dans le cadre français (L’Association).

Le collectif d’artistes et de critiques rassemblé autour de l’éditeur américain PictureBox[8] (mais qui dépasse largement cette seule structure) permet d’étudier empiriquement cette articulation. Les auteurs qui y sont associés sont porteurs d’une approche alternative de la bande dessinée nord-américaine : il s’agit pour eux de tisser d’autres liens que les liens établis par les canons du mainstream comme par les canons de la bande dessinée alternative.

L’approche défendue et incarnée par ce collectif repose sur plusieurs procédés que la communication détaillera : la redécouverte d’auteurs oubliés ou rejetés par la critique alternative, la relecture d’auteurs et œuvres connus (venant à la fois de l’alternatif et du mainstream), la recontextualisation de la bande dessinée et de son analyse (ni l’activité éditoriale ni le discours critique ne dissocient la bande dessinée d’autres formes artistiques : arts plastiques, littérature, design…). Les activités de ce collectif permettent de mettre en évidence la pluralité des moyens permettant cette relecture alternative : édition de bandes dessinées, publications critiques (papier –The Ganzfeld– ou en ligne –Comics Comics ou TCJ), publication d’anthologies proposant une autre lecture de l’histoire des comics (Art Out Of Time, 2006 ; Art In Time, 2010), commissariat d’expositions (Jack Kirby au Festival Fumetto 2010).

L’action de ce collectif relève à la fois d’une démarche artistique et d’une stratégie de positionnement dans le champ de la bande dessinée américaine pour ces jeunes auteurs. Il s’agira donc ici également de rendre compte des logiques permettant ce positionnement : transformations générales du marché et du champ de la bande dessinée, profils spécifiques des auteurs (liés au champ de l’art contemporain), opportunités conjoncturelles.

14h40 : Anthony Rageul (Université de Rennes), Comment l’appropriation des technologies par les auteurs peut-elle caractériser une bande dessinée numérique « alternative » ?

Qu’est-ce qu’être «mainstream » ou être « alternatif » quand on fait de la bande dessinée numérique ?

Il semblerait que ce ne soit pas une question de format. La production numérique actuelle consiste quasi exclusivement en la reprise au format numérique des catalogues papier des éditeurs, tous types de structures confondus, excluant la création originale. Elle réussit le tour de force de faire entrer toutes les œuvres dans les mêmes diaporamas ou les players standardisés, que nous appelons le « 48CC numérique ».

Il semblerait que ça ne soit pas plus une question de genre ou de style : bien que certains dominent[9], tous sont représentés, aussi bien dans la production destinée aux players standards que dans les blogs-bd ou galeries de planches en ligne.

C’est peut-être une question de modèle économique et de diffusion : 8Comics, ou encore Thomas Cadène, à travers le blog Les autres gens, proposent des formes de diffusion « alternatives » au double-modèle dominant, celui de la vente d’applications (les players) d’un côté et celui du blog gratuit de l’autre. Cependant les récits proposés relèvent souvent des canons traditionnels.

Il reste néanmoins une piste que nous aimerions explorer. Le point commun.

15h20-15h40 Pause

Séance 4 – Rencontre avec un auteur-editeur

15h40 : Jimmy Beaulieu (Co-fondateur des éditions Mécanique Générale et Colosse – Montréal)

En soirée : 18h : Vernissage de l’exposition « JC Menu » à la librairie Livre aux Trésors.

21h : Soirée de clôture au MadCafé animée par

DJ Fil Plastic, John Cockerill, et JC Menu.


[1] « Interview de Latino Imperato », dossier de presse du Comptoir des Indépendants, juillet 2008, p. 6.

[2] Ibid.

[3] François Rouet, Le Livre. Mutations d’une industrie culturelle, La Documentation Française, 2001, p. 242-244.

[4] « Interview de Latino Imperato », Ibid.

[5] Jean-Christophe Menu, Plates-bandes, L’Association, 2005, p. 65.

[6] « Interview de Latino Imperato », Ibid.

[7] « Le comptoir des indépendants. Un acteur clé de la chaîne du livre au service de la bibliodiversité », op. cit., p. 4.

[8] Voir le site : http://www.pictureboxinc.com/ Parmi les auteurs liés, à un titre ou à un autre, au collectif, on peut citer notamment : Dan Nadel, Tim Holder, Frank Santoro, Dash Shaw, CF, Matt Brinkman, Renée French, Jeet Heer.

[9] On ne compte plus par exemple les blogs-bd autobiographiques ou autofictionnels, dans des styles « lâchés ».

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